Sekai : Chapitre 17 - Un Litre De Larmes

Publié le par Jyôka Ryu

Le convoi rassemblant ce qui restait du bataillon de l'armée de Kuni, dirigée par Miku, retournait vers la capitale, la mine renfrognée. La défaite d'Uchi fut cuisante. S'il fallait bien avouer que la commandante avait lancé son bataillon vers l'inconnu, sans rien savoir de l'artillerie dont disposaient les soldats d'en face, elle ne s'attendait pas à un tel massacre. Pire, les derniers événements de la bataille, et le meurtre du frère et de la mère d'Alys pesaient sur sa conscience. Elle ne s'était pas non plus attendue à un tel déferlement de haine de la part de leur ennemi. Cette fois-ci, il était certain que la guerre avait bel et bien débuté.

Alys restait assise dans le fond de la diligence, en observant l'horizon, le regard vide. Elle ne prononça pas un mot durant tout le voyage. Tout du long, elle se repassait sans cesse cette scène ignoble dans la tête. Les autres passagers pouvaient le remarquer quand elle serait les dents. Rin et Len étaient assis à ces côtés. La jeune fille avait passé un bras par-dessus son épaule, comme pour lui signifier qu'elle la soutenait tant bien que mal dans ce moment difficile. Len cherchait des mots de réconfort: malheureusement n'était-il pas suffisamment doué pour les discours. De plus, que dire dans pareille situation ? De temps en temps, une larme coulait doucement sur la joue rougeâtre de la fille à la tresse, accentuant encore cette ambiance pesante.

Le voyage continuait. Les différentes charrettes transportant les soldats, pour la plupart blessés, voyageaient entre les sentiers forestiers et se dirigeaient tranquillement vers la capitale. De son côté, Miku avait jeté un coup d'œil derrière elle, et avait ouï les lamentations et les cris de douleur de ses soldats. Jusqu'à maintenant, son rôle de commandante de la Garde royale se résumait à gérer les entraînements des soldats, et à enquêter sur certaines affaires ayant trait de près ou de loin à l'Etat. Elle n'avait jamais dû lancer une telle offensive sur un village, ni mener une véritable guerre. Si la patronne avait lu tous les récits des plus grands héros et chefs des temps anciens, histoire de lui donner de l'inspiration, elle s'était retrouvée soudainement face à la réalité. Et tout cela n'était pas beau à voir. Miku porta ensuite son regard vers Alys et son ressentiment négatif en reprit un coup: c'était elle qui l'avait convaincue de rejoindre la Garde royale, c'était elle qui lui avait conseillé d'utiliser son pouvoir. Une idée lui vint à l'esprit: la famille d'Alys serait-elle encore vivante si elle n'avait pas été là ? Cette idée la hantait. Pourtant, elle ne se sentit pas la force d'en parler à la jeune femme pour le moment: peut-être fallait-elle lui laisser le temps du deuil.

Le groupe arriva en vue des remparts de la ville de Kyôu, et le convoi se dirigea directement vers le Palais Royal. A l'entrée attendait patiemment la Reine Luka, accompagnée de sa servante Meiko, ainsi que de Gumi et Yuma. Tous furent désemparés quand ils aperçurent l'état général du bataillon, et les mines défaites de Miku, Rin, Len et Alys. La commandante s'avança vers le groupe, et s'adressa à la Reine, la tête baissée:

- Ma Reine, l'heure est grave... Nous avons perdu...

Au vu de l'expression de Miku, Luka réalisa que quelque chose la tracassait:

- Miku, suis-moi... Tu m'expliqueras tout cela dans la salle du trône.

La souveraine invita également les autres membres à se joindre à elle.

Juste avant de pénétrer dans le Palais, Alys retint les Kagamine par leurs tuniques respectives, au niveau des hanches :

- Leora... murmurait-elle. « Elle me paiera ça... »

Les jumeaux se regardèrent pendant un instant, ne sachant pas quelle réponse apporter à cette affirmation. Puis, Rin affirma, comme pour rassurer son amie:

- On est avec toi... Quoi qu'il arrive...

***

A Uchi, Fukase était toujours installé sur son trône. Il effectuait des allées et venues entre celui-ci et la fenêtre à partir de laquelle il lui était possible d'observer l'horizon. Leora se trouvait également à ses côtés. De loin, sur la place du forum, on pouvait voir deux tombes improvisées: les corps de Syla et de Lysa avaient été enterrés à cet endroit, la tombe était surplombée d'une pique sur laquelle étaient installées leurs têtes, comme un trophée, un signe de la victoire écrasante de l'armée d'Owari sur celle du pays de Kuni. Leora se félicitait: elle avait enfin parié sur le bon cheval. Tous deux savouraient ensuite un bon verre d'alcool, histoire de fêter leur puissance.  D'ailleurs, Fukase et Leora commençaient à réellement se rapprocher. Le patron était particulièrement fier d'être tombé sur une recrue de ce genre, et la jeune femme d'avoir enfin trouvé un employeur à sa mesure.

Alors qu'ils étaient toujours occupés à boire (personne n'aurait pu deviner qu'un véritable massacre s'était déroulé sous leurs yeux quelques heures auparavant), Kyuu entra discrètement par la porte arrière de la salle du chef. Il fut suivi dans son ombre par son jeune frère. Le visage des deux jumeaux était fermé, et ils restèrent immobiles devant l'estrade sur laquelle se trouvait leur chef, qui interrompit sa célébration. Fukase sentait que ces deux-là avaient quelque chose à lui dire. La mercenaire se recula de quelques pas et suivit la conversation de loin.

- Monsieur, est-ce que je peux vous parler ? commença Kyuu.

- Fais donc, mon cher. Quand il s'agit de vous deux, je suis toujours toute ouïe.

- C'est que... L'aîné hésitait déjà, il éprouvait des difficultés à trouver les mots pour exprimer leur pensée, à son frère et lui.

- Vas-y, parle ! insista Fukase. Plus en arrière, Leora avait déjà sa petite idée sur le discours du garçon.

Puis, Kyuu prit son courage à deux mains, poussé par son frère qui lui murmurait des mots d'encouragements à l'oreille.

- Vous êtes certains que tout ceci est nécessaire ? Kyuu posa sa requête sous forme de question, peut-être passerait-elle mieux.

- Que veux-tu dire ? Va au bout de ta pensée. Fukase le poussait à bout.

- Tous ces massacres, ces gens n'ont rien demandé !

Le silence gronda soudainement dans la pièce. Le patron aux cheveux rouges était descendu de son trône, et faisait les cent pas sur l'estrade. Pendant tout un temps, il ne prononça pas un seul mot, si bien que Kyuu se demanda même s'il l'avait bien entendu. Puis, le trentenaire s'approcha d'un vase posé sur une petite table d'appoint, le saisit, et le fracassa d'un seul coup sur le mur de la salle.

- Comment ça ? Vous osez remettre en doute mes ordres !

Il entra alors dans une colère noire. De nombreuses répliques cinglantes à l'égard des jumeaux fusaient, Kyuu et Roku se reculèrent même vers la porte de sortie.

- Vous n'êtes que des esprits faibles ! lança Fukase, puis il se tourna vers Leora, comme pour trouver un soutien. « Regardez ça, ma chère... J'ai passé des années à être aux petits soins pour eux, et voilà comment on est remercié ! »

- Ce n'est pas ça, embraya Kyuu, espérant expliciter sa pensée au travers de ce ramdam. « On aimerait juste savoir pourquoi vous faites tout cela. Et est-ce que toutes ces morts sont vraiment nécessaires ? On se demande ce que vous recherchez... »

Fukase se rapprocha des Genshine. Il arborait toujours le même air menaçant. Des marques de doute pouvaient se lire sur le visage des jumeaux.

- Tu veux savoir, mon cher Kyuu, mais fais attention, tu t'embarques sur un terrain extrêmement glissant. Mais bon, voilà, si tu veux connaître mon objectif, je veux juste m'emparer de ce monde qui m'a rejeté !

Leora, qui suivait toujours la conversation de loin, resta coi. Les mots de Fukase trouvèrent un écho dans l'esprit des jumeaux. S’ils savaient qu'il venait de ce monde, ils ignoraient qu'il en avait été rejeté. Cette dernière information poussa les jeunes garçons à réfléchir. Fukase aussi avait été mis au ban de la société. Peut-être même qu’il les avait recueillis parce qu'il se retrouvait en eux. Pléthore d'idées se bousculèrent dans chacun de leurs esprits.

- Mais si vous voulez m'abandonner, faites donc, défia le chef. « Mais ne comptez plus sur moi ! »

Kyuu et Roku se regardèrent quelques instants, puis l'aîné rétorqua à leur mentor: « Non, ça ira, excusez-nous pour cette intervention... »

En effet, les mots que Fukase avaient employés avaient un impact certain sur la conscience des Genshine. D'un coup, ils se reconnaissaient quelque peu en lui, même s’ils ne faisaient pas preuve d’une telle cruauté. Leur parent adoptif aurait donc vécu le même type d'expérience qu'eux, et avait aussi été abandonné par sa famille. Lui aussi avait tout perdu. En outre, le patron avait appuyé sur une autre corde sensible: si les jumeaux l'abandonnaient maintenant, que deviendraient-ils ? Kyuu n'était pas prêt à revivre la situation de son enfance, et voulait plus que tout protéger son cadet. Un autre espoir jaillit aussi en eux: et s'ils parvenaient à faire changer d'avis Fukase ?

Les jumeaux quittèrent donc la pièce calmement, et l’homme aux cheveux rouges reprit tranquillement son souffle, avant de se rasseoir sur le trône.

Une fois sortis, Roku attendit d’être à bonne distance de la salle pour s’adresser à son frère.

- Qu’est-ce que tu en penses, Kyuu ?

- Je ne sais pas, Roku. Fukase a peut-être bien une bonne raison de faire tout cela… Kyuu réagit immédiatement à la phrase qu’il venait de prononcer, et s’empressa d’ajouter : « Même si cela ne justifie pas toutes ces morts… »

- On pourrait s’enfuir aussi … lança le cadet, hésitant.

- Pour faire quoi ? rétorqua Kyuu. « Nous sommes dans un monde que nous ne connaissons pas, et le plupart des gens ici vont nous considérer comme des ennemis. Si on quitte Fukase maintenant, on ne pourra rien faire !                                                                                            

Le plus jeune des jumeaux baissa la tête, déçu. Il se rendait compte de l’impasse dans laquelle il se trouvait. Pourtant, c’était plus fort que lui, il ne pouvait cautionner de tels actes. Observant le visage fermé de son frère, Kyuu ajouta :

- On peut aussi essayer de le faire changer d’avis, de le contrôler un peu, en quelque sorte. Il lui arrive de nous écouter parfois…

Roku releva la tête lentement et gratifia son aîné d’un léger sourire forcé.

- Oui, on peut toujours essayer… souffla-t-il.

- Et si ça ne fonctionne pas, on avisera sur le moment, selon la situation… rassura Kyuu.

- C’est-à-dire ? Tu serais prêt à prendre la fuite ? interrogea le cadet.

- Qui sait ?

***

Au Palais Royal, Miku se tenait en bout de table face à la Reine, accompagnée de Gumi, Yuma, Rin, Len et Alys. Meiko se trouvait vers l’arrière. Elle prêtait tout de même une oreille attentive à la conversation. Au final, celle-ci concernait tout de même l'avenir du pays. La commandante de la Garde avait rapidement convoqué cette réunion, jugeant que la situation était excessivement grave. Il fallait en effet préparer la ville très rapidement à un assaut de l'ennemi. Fukase, après sa cinglante victoire, ne traînerait certainement pas à réorganiser ses troupes pour attaquer la capitale, et ainsi atteindre son présupposé objectif.

Luka observait les discussions calmement. Celles-ci impliquaient surtout Miku, Gumi et Yuma, qui tentaient d’élaborer les meilleures stratégies pour défendre la ville. Kyôu disposait d'un avantage: ses remparts étaient d'une solidité à toute épreuve, plus que ceux de tous les autres villages réunis. Ce qui permettrait d'obtenir assez de temps pour mettre la population à l'abri. Cependant, Miku se rendit rapidement compte d'un élément. S'ils avaient trouvé le moyen de protéger les civils temporairement, ils ne disposaient encore que de peu de chances d'arracher la victoire finale, et Kyôu ne pouvait pas se permettre de subir un siège long de plusieurs mois. Dans tous les scénarios, l'armée de Fukase triomphait et prenait le pouvoir, fort de sa puissance militaire.

Luka prit alors la parole, et vissa son regard vers Alys:

- Il nous faudrait un moyen de contre-attaquer, ou du moins de rendre leurs armes inutiles. Alys, n'aurais-tu pas une idée ?

La jeune fille à la tresse était encore perdue dans ses pensées. Ce moment précis où Leora décapitait les têtes des derniers membres de sa famille repassait toujours en boucle dans sa tête, de sorte qu'elle eût du mal à se concentrer aux tractations en cours. Elle fut donc soudainement interloquée par le silence pesant et les regards de tous les autres participants tournés vers elle.

- Je ne sais pas, ma Reine... Avec Syla, nous aurions pu trouver un moyen. Nous aurions pu partager nos connaissances, mais seule... Je ne sais pas ce que je peux faire...

A l'énonciation du mot "seule", Alys éclata en sanglots, comme si le poids des mots la rappelait à sa sinistre condition. En effet, elle était désormais isolée... Elle avait tout perdu, et la jeune femme finissait même par se demander ce qu'elle faisait encore là, l'armée de Kuni lui avait déjà bien détruit la vie.

Quand elle vit l'état de désespoir d'Alys, Luka demanda à tous les autres participants de les laisser seules à seules quelques minutes. Tous s'exécutèrent immédiatement. La fille aux cheveux marine restait assise, étonnée que la Reine puisse lui accorder un entretien personnel, même si elle n'avait rien demandé. C'était, là encore, un signe de l'extrême gentillesse de la souveraine.

Luka se mit à la hauteur d'Alys, et s'installa sur la petite chaise en bois située à sa droite. La jeune koryuiste se tenait la tête dans les mains, essayant le plus possible de sécher ses larmes. La Reine commença son discours calmement:

- Je suis... Désolée pour tout ce qui vous est arrivé...

La souveraine se rendait bien sûr compte de l'absurdité de ses excuses. Cela ne changerait rien. Cependant, Alys fut relativement touchée par sa sollicitude et releva la tête. Dans le même temps, elle tenta de lui rendre un sourire forcé.

- Je comprendrai tout à fait que vous ayez besoin de prendre du recul. Mais, je dois vous avouer que votre présence à vos côtés nous est d'une grande aide, poursuivit Luka.

- Je n'ai pas envie de vous abandonner. Et je ne veux surtout pas laisser Leora impunie... rétorqua Alys. La colère se ressentait de nouveau dans sa voix. « Toutefois, bien que je veuille aider, je me vois dépourvue. Notre plan est tombé à l'eau, et je ne vois pas ce que l'on peut faire pour nous défendre contre une telle puissance de feu. »

Luka se releva, et se mit à vagabonder dans la pièce. Elle garda le silence pendant plusieurs longues dizaines de secondes.

- J'ai un peu connu votre père, quand j'étais enfant. Un homme charmant. Il n'avait pas hésité à se donner corps et âme pour le bien du pays. Jusqu'à donner sa vie.

Alys ressentit un sentiment mêlé de fierté et de tristesse. Puis, soudainement, une idée lui vint à l'esprit:

- Mon père n'aurait-il pas pris des notes pendant la Grande Guerre ?

La Reine ravisa Alys. « Que voulez-vous dire par là ? »

- Si mon père avait écrit le résultat de ses recherches, il y aurait peut-être moyen de trouver quelque chose pour nous aider dans la lutte contre Fukase.

- C'est bien possible, renchérit Luka. « Monsieur Vo faisait partie des soldats les plus importants de l'armée, il y a quinze ans. Et il était réputé pour ses recherches et sa grande maîtrise de l'art du Koryu, qu'il avait continué à perfectionner ici. C'est d'ailleurs grâce à cela qu'il a pu créer la grande barrière de l'île Maho. »

La souveraine reprit alors sa place à la tête de la table de réunion: « Je vais vous donner l'accès aux archives militaires. Il s'agit là de notre meilleur atout. »

- Je peux encore vous demander une petite chose, ma Reine, quémanda Alys.

- Tout ce que vous voudrez, ma chère.

- Je peux emmener Rin et Len avec moi aux archives ? Ils me seraient d'une grande aide, et connaissent mieux que quiconque les armes de l'ennemi.

- Accordé !

La Reine fit de nouveau entrer les autres participants à la réunion à l’intérieur de la salle du trône.

Une fois n'était pas coutume, Luka prenait les décisions tel un véritable chef de guerre. La Reine fut suivie dans tous ses choix par Miku, qui opina du chef.

Ainsi, Rin, Len et Alys se dirigèrent directement en sortant du Palais Royal vers la Grande Bibliothèque de Kyôu, alors que Miku, Gumi et Yuma retournaient à la caserne de la Garde Royale afin de déjà se préparer au mieux à un nouvel assaut.

***

Alys et les jumeaux Kagamine furent donc rapidement conduits vers la Bibliohèque de Kyôu par un soldat de l'armée royale. Le somptueux bâtiment se trouvait en centre-ville. A peine arrivés au pied de l'édifice, les trois personnes constataient l'imposante majesté de l'endroit, qui s'élevait sur plusieurs étages. Il s'agissait là de la plus grande collection de livres du pays de Kuni, voire du monde. En outre, l'architecture de la bibliothèque était luxuriante. Le soleil reflétait de bien belle manière sur la façade jaune, qui donnait à l'ensemble un aspect légèrement doré.                                                                

Alys, Rin et Len entrèrent par la grande porte, gardée par deux hommes de moyenne taille, qui les saluèrent respectueusement. Ils pénétrèrent alors dans l'imposant hall d'entrée. Le plafond était très haut, et décoré de peintures de grands artistes représentant les grandes scènes de l'histoire du Pays de Kuni. La pièce en elle-même se trouvait être relativement vide, si ce n'est l'énorme comptoir situé au fond, à l'intérieur duquel les attendaient un jeune homme d’une vingtaine d’années. Il portait des cheveux foncés et une épaisse paire de lunettes. La couleur blanche de ses vêtements le faisait ressortir dans la pénombre qui régnait dans la bibliothèque. Pourtant, il aborda les trois visiteurs de manière assez timide et hésitante.

- Bonjour à vous, commença-t-il.

Alys répondait calmement, tandis que les Kagamine n'avaient même pas remarqué cette marque de respect, encore sous l'effet de la beauté de l'endroit. Quelques secondes plus tard, les jumeaux virent Alys les dévisager, et s'excusèrent directement devant leur hôte.

- J'ai reçu les instructions du Palais Royal. Vous pouvez avoir accès à toute la bibliothèque, y compris aux archives militaires, qui sont d'habitude réservées aux commandants de l'armée.

- Merci ! lança directement la jeune fille à la tresse. « Où se trouvent les ouvrages d'histoire militaire. Je pense qu'il vaudrait mieux commencer nos recherches par-là ».

- Au quatrième étage. Mais je vous préviens, nous possédons de très nombreux livres. Si vous avez besoin d'un quelconque aide, n'hésitez pas à demander.

- C'est gentil, rétorqua Alys. Rin et Len, toujours quelque peu perdus, se contentèrent de saluer.

Les trois amis furent donc accompagnés à l'étage concerné par le sympathique employé. En passant, ils purent admirer l'énorme collection d'ouvrages divers dont disposait le pays de Kuni. Par le même temps, le bibliothécaire les gratifia d'un petit exposé. Ils apprirent donc que la grande majorité de ces ouvrages avaient été rassemblés par la Reine Luka elle-même, qui se trouvait être une lectrice avertie. Elle s'impliquait énormément dans l'entretien de la bibliothèque, et permettait à toute la population du pays à venir consulter les livres gratuitement. Seuls les ouvrages militaires étaient réservés à certaines personnes, sécurité oblige.

- Pour la Reine, la lecture est le meilleur moyen d'éduquer les gens.

Rin et Len appréciaient cette manière de fonctionner. Bien qu'ils aient un a priori plutôt positif par rapport à la Reine Luka, ils ne l'avaient jamais imaginé aussi proche et soucieuse de son peuple. Finalement, derrière son air timide, elle agissait en tant que véritable chef d'Etat, malgré son jeune âge.

Alys et les jumeaux arrivèrent donc au quatrième étage, et se retrouvèrent soudainement devant un nombre d'étagères impressionnant. Des milliers de livres retraçant toute l'histoire militaire du pays de Kuni étaient entreposés à cet endroit, et certains ouvrages dataient même de plusieurs siècles, selon les dires du bibliothécaire. Rin et Len restèrent quelques instants prostrés devant cet énorme amas de bouquins, eux qui n'avaient jamais réellement eu le temps de s'adonner au passe-temps de la lecture. La jeune fille à la tresse, elle, ne perdait pas son objectif de vue, certainement poussée par son ressentiment envers Leora, et s'informa immédiatement à propos des ouvrages traitant de la Grande Guerre Magique. Si les notes de son père existaient, elles devaient forcément se trouver à cet endroit.

Au milieu de l'imposante pièce se trouvaient un ensemble de trois tables en bois entourées de quelques chaises, qui servaient d'espace de lecture. Alys invita les Kagamine à s'installer, et ils se dirigèrent quelques secondes plus tard vers le lieu indiqué par le bibliothécaire. Les recherches allaient s'avouer pénibles et longues, les trois amis l'avaient vite compris quand ils se retrouvèrent nez à nez avec une bonne dizaine d'étagères remplies:

- Voilà, communiqua le jeune garçon. « Tous les livres ici traitent de la Grande Guerre... »

- Eh ben, on n'est pas sorti, souffla Len. « Comment on va s'y retrouver dans cet océan de papier ? Et puis, qu'est-ce qu'on cherche exactement ? »

Rin, quant à elle, restait sage et silencieuse.

- Nous devons fouiller tous les rapports militaires. D'après la Reine, mon père a travaillé de près aux stratégies martiales durant la Guerre, et il aurait perfectionné sa technique du Koryu. Le but est de trouver là-dedans quelque chose qui pourrait nous aider à nous défendre contre notre ennemi. C'est pour cette raison que je vous ai emmenés. Si quelqu'un peut déceler une manière de se défendre contre ces armes à feu, c'est bien vous, analysa très judicieusement Alys.

Les jumeaux sentirent à cet instant une certaine sorte de pression. Comme si la défense du pays reposait sur leurs frêles épaules. Durant un petit moment, ils s'observèrent mutuellement, comme pour partager leur stress collectif, puis pour se rappeler qu'ils n'étaient tout de même pas seuls dans cette mission. Puis, ils suivirent Alys qui s'était déjà emparée d'un livre et s'était installée sur la table de lecture.

Elle fut cependant interrompue par le jeune employé de la bibliothèque, qui lui avait tiré subrepticement la manche de son haut.

- Excusez-moi, mais j’ai une question… hésita-t-il.

- Allez-y… Qu’est-ce qu’il se passe ? Alys se montra désarçonnée par la demande de son interlocuteur.

- Il paraît que vous maîtrisez le Koryu ?

- Comment le savez-vous ? Peu de personnes sont au courant, s’étonna-t-elle.

Le visage du jeune homme devint écarlate :

- On va dire… que j’aurai peut-être jeté un œil aux archives…

Alys sourit. La voix du bibliothécaire laissait transparaître son inquiétude de voir son secret révélé et, par conséquent, de perdre son emploi. Il était en effet interdit de consulter les archives secrètes de l’armée. Mais il ne pouvait s’en empêcher, et s’était plongé dans leur lecture.  

- C’est parce que, j’ai toujours été curieux d’observer l’art du Koryu. Je m’intéresse beaucoup aux éléments magiques à Sekai. Et j’aurai adoré avoir une démonstration, si ce n’est pas trop vous demander…

Alys n’éprouvait pas tellement d’envie de répondre à cette requête, surtout en ce moment. Elle avait tenté de cacher sa maîtrise du Koryu pendant toute sa vie. Il était difficile pour elle de tout révéler au grand jour. Mais le jeune homme possédait un air tellement serviable et gentil, qu’elle ne put se résoudre à le décevoir.

- Je ne sais pas quand le temps me permettra, mais on pourrait s’arranger… répondait-elle le sourire aux lèvres.

Devant cette réponse positive, le visage du bibliothécaire s’éclaira soudainement.

- Merci, merci ! répéta-t-il inlassablement. « Depuis des années, je rêve de pouvoir observer un koryuiste de mes propres yeux ! »

- Avec plaisir ! Alys ne savait pas quoi rétorquer d’autre.

- Au fait, mon nom est Shirosaki Yuudai. Je vais vous laisser, vous devriez avoir pas mal de travail.

L’homme se dirigea vers la sortie de l’étage mais rebroussa chemin rapidement.

- Vous ne direz rien, n’est-ce-pas ? J’aimerai que personne ne sache que je suis venu lire les ouvrages ici… s’inquiéta-t-il.

- Pas de soucis, rétorqua Alys. « Motus et bouche cousue ! »  

- Merci, à bientôt donc !

- A la prochaine !

Le jeune homme quitta alors l’étage en sautillant à travers les étagères remplies de livres et regagnait sa place à la réception. Alys fixa Rin et Len le regard un peu perdu. Quel homme intriguant ! La villageoise ne s’était jamais retrouvée face à une personne qui admirait les gens de son « espèce », et ne la voyait pas spécialement comme une menace. Les trois amis se mirent toutefois rapidement au travail.

Les recherches furent pénibles et excessivement longues. Si Len commençait à souffler après quelques heures et commençait peu à peu à somnoler au-dessus des livres, la détermination d'Alys n'était pas ébranlée. Comme depuis le début, elle avalait des centaines de pages de rapports militaires particulièrement indigestes, à la recherche d'un simple petit indice. Mais elle ne trouvait aucune trace de son père dans aucun des rapports, comme si son travail était gardé secret, même au sein des archives. La jeune femme refusait cependant de perdre espoir. Il ne lui était pas concevable que son père ait emporté dans sa tombe de tels secrets importants. Il avait dû laisser une trace, si infime soit-elle.

Le soir commençait à tomber, bien que les trois amis n'eurent pas l'occasion de s'en rendre compte, la bibliothèque ne comportant pas de fenêtres à cet étage. Ils se contentèrent donc d'un éclairage à la bougie. Len se montrait de plus en plus distrait, et faisait désormais régulièrement des pauses. Il allait se balader au travers des allées bordées d'étagères. Rien de bien fascinant l'attendait, mais il pouvait au moins se permettre de se reposer les yeux quelques instants. Peu après, il aperçut sa soeur plongée dans un ouvrage plutôt inhabituel.

- Qu'est-ce que tu lis, Rin ?

- Euh... La jeune fille se retourna, gênée. « C'est un conte. Ca s'appelle "La villageoise et les ours." »

- Tu n'as rien d'autre à faire que de lire des contes ?

- Je me suis surtout demandée ce que ça faisait là au départ... Et puis, j'ai ouvert le livre, et j'ai trouvé l'histoire passionnante.

Lorsqu'Alys entendit le nom du conte, elle se lança soudainement vers Rin.

- Attends, tu as bien dit "La villageoise et les ours" ? C'était mon livre préféré quand j'étais enfant ! Mon père me le lisait quasiment tous les soirs.

Les jumeaux restèrent sans voix.

- Je peux te l'emprunter, s'il te plaît. Je me demande bien ce que ça fait ici. C'est bizarre...

Alys inspecta alors chaque recoin de l'ouvrage. Le livre était en assez bon état, mais quelque chose lui semblait louche effectivement. Dans ses souvenirs, il n'était pas aussi épais.

- Tu es déjà arrivée à la fin ? demanda-t-elle à la jeune blonde.

- Non, Len m'a interrompue avant. Elle lui lança alors un regard accusateur.

La villageoise ouvrit alors directement les dernières pages.

- Ah, enfin ! Je le savais, j'ai trouvé !

- Quoi ? interrogèrent de concert les jumeaux.

- Ce livre... C'est exactement celui que j'avais quand j'étais petite. Mon père y a ajouté ses notes à la fin. Et il l'a caché ici.

- Ça signifie que... murmurèrent les jumeaux.

- Qu'il y a certainement un message dans son texte. Et que, selon toute vraisemblance, il m'est adressé ! Mon père a sans doute voulu me laisser un dernier message pour l'avenir, et ce livre s'est retrouvé ici par je ne sais quel hasard.

Alys laissait entrevoir un certain espoir dans son discours, également mêlée d’un sentiment de joie difficile à définir. Elle qui venait de perdre sa famille, remarquait que ses proches lui avaient laissé des traces, comme si ils veillaient toujours sur elle, ou du moins qu’ils avaient besoin de la petite dernière de la famille.

La jeune villageoise d’Uchi se mit donc à lire ce qui finalement constituait le dernier message de Monsieur Vo. Les mots utilisés étaient assez énigmatiques, de sorte qu’ils ne puissent être compris uniquement par un pratiquant du Koryu. L’ancien combattant évitait ainsi les fuites. Les Koryistes utilisaient en effet un jargon assez poussé lorsqu’ils parlaient de leur art. Il était donc très difficile pour un néophyte de suivre une quelconque conversation. Ainsi, n’importe qui pouvait tomber sur ce livre par hasard, il n’y aurait rien compris.

Alys resta plongée quelques longues minutes dans sa lecture, sous le regard attentif de Rin et Len, qui attendaient patiemment sa conclusion. Puis, la jeune femme se pétrifia soudainement. Elle fixa Rin et Len dans le blanc des yeux, et restait coi.

- On a un problème… balbutia-t-elle.

- Ce n’est pas nouveau. Ce pays croule sous les soucis pour l’instant ! lança Len, immédiatement rabroué par sa sœur. Ce n’était certainement pas le moment de faire des petites phrases. Alys paraissait particulièrement préoccupée.

- Qu’est-ce qu’il y a ? interrogea alors Rin.

- C’est… la barrière magique…

- Quoi, la barrière ? Celle qui entoure l’île des Magiciens ? continua la blondinette

- Oui, d’après ses notes, elle n’est pas éternelle. Il avait prévu d’y laisser la vie quand il l’a mise en place. Il a dû sacrifier toute son énergie vitale à sa construction. De telle sorte que cette protection n’est que temporaire… balbutia Alys, sous le choc.

- Mais ce n’est pas logique… interrompit Len. « Quel est l’intérêt ? »

- D’après ce qu’il a écrit, mon père avait construit cette barrière afin de bloquer les ambitions du chef de la Guilde des Magiciens, Utatane Piko. Selon lui, le but était que les générations futures rétablissent un lien avec les magiciens, quand tout le monde serait prêt.

Alys poursuivit : « Et puis, c’était la seule manière de terminer cette guerre. La Guilde des Magiciens n’a eu d’autre choix que de capituler et d’accepter leur punition. Visiblement, il n’avait pas eu le choix, il fut obligé de créer cette barrière. »

- Je me demande si la Reine est au courant… réfléchit Rin. « Elle aurait donc caché tout ceci au peuple. »

- Il faudra lui en parler… insista Len, provoquant l’acquiescement de Rin et Alys. « En attendant, il y a quelque chose d’autre dans ces notes ? Quelque  chose qui pourrait nous aider à nous défendre contre Fukase ? »

- Il y a bien des notes. Mon père a essayé de rassembler toutes ses connaissances sur le Koryu. Mais c’est très complexe. Je ne pourrai pas y arriver sans entraînement, hésita Alys. Puis, elle poursuivit : « Mais il y a un espoir… Si je parviens à maîtriser cette technique ici, je pourrai protéger une bonne partie de l’armée en cas d’attaque. La jeune fille à la tresse indiqua une page griffonnée aux jumeaux, qui ne comprenait pas un traître mot à ces inscriptions, mais retrouvèrent le sourire.

Alys tenait le livre entre ses bras, et ne semblait plus vouloir le lâcher, le conservant comme une relique. Les trois combattants novices restèrent en silence en plein milieu de la pièce pendant un moment. Ils venaient d’apprendre un assez grand nombre de nouvelles informations.

- Il faut avoir une discussion avec la Reine ! Elle doit être au courant. J’aimerai bien savoir pourquoi elle ne dit absolument rien, ça me paraît louche…

Les jumeaux rejoignirent Alys dans son argumentation.

Les trois amis sortirent alors de la bibliothèque pour se diriger directement vers le Palais Royal. Leurs expressions de visage traduisaient un sentiment mitigé, entre l’inquiétude, l’espoir et une certaine détermination retrouvée. Des heures sombres s’annonçaient pour le pays de Kuni, mais des perspectives positives pointaient également à l’horizon.

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Publié dans Sekai

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H
Petit chapitre entre deux actions, comme on dit :)<br /> J'ai bien aimé le passage de la bibliothèque, un passage de recherhes obligé dans beaucoup d'histoires :p <br /> C'était intéressant le fait que Fukase ait été rejeté de ce monde. Je suis sûre qu'on a encore beaucoup à apprendre sur lui. Intéressant aussi que ça encourage les jumeaux à rester avec lui, malgré ce qu'il fait ils ont du mal à s'en détacher (ce qui est normal).<br /> J'ai juste vu une petite erreur, Luka fait rentrer deux fois tout le monde après son entretien avec Alys ;)
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J
Merci pour ton avis !^^<br /> Oui, je me suis inspiré de beaucoup de mangas ou de romans que j'ai lus pour ce passage. Content que ça plaise aussi.<br /> Haha, Fukase est loin d'avoir tout révélé sur lui ;-)<br /> Merci de m'avoir signalé l'erreur... Je l'ai corrigée. (Ha, j'étais pourtant certain de l'avoir supprimée cette phrase ! Mais à force d'avoir le nez dans l'écriture, je n'avais pas vu qu'elle était restée là...)